UE – Turquie : on se parle de nouveau !

Il y a tout juste un an, Burhan Kuzu, le président de la Commission constitutionnelle de l’Assemblée nationale turque et membre du parti AKP au pouvoir, jugeant le rapport d’avancement de la Commission européenne pour la Turquie « bon pour la poubelle », joignait le geste à la parole et le jetait par terre au cours d’une émission de télévision ! Un an plus tard, le dernier rapport en date a fort heureusement bénéficié d’une meilleure réception.

Cela est dû à des changements survenus depuis fin 2012 : dès février 2013, la France annonçait par la voix de son ministre des Affaires étrangères qu’elle était favorable à la reprise des discussions d’adhésion avec la Turquie, premier geste allant dans le sens d’une « réparation des dégâts » occasionnés aux relations franco-turques lors du quinquennat de Nicolas Sarkozy (1). Dans le sillage de la France, Angela Merkel déclarait quelques jours plus tard que l’Allemagne y était également favorable.

Les négociations auraient dû reprendre en juin mais la répression violente de la contestation place Taksim à Istanbul en mai et juin a naturellement refroidi les membres de l’Union. Il a fallu attendre jusqu’au 22 octobre pour que les représentants des 28 pays membres décident – à l’unanimité, comme le stipulent les règles de l’UE – la reprise des négociations. Enfin, après trois années passées au point mort, les discussions ont effectivement repris le 5 novembre avec l’ouverture du Chapitre 22 portant sur la « Politique régionale et la coordination des instruments structurels », visant à réduire les écarts socio-économiques entre les régions.

Qu’est-ce qui a changé de part et d’autre ?

Ni les intérêts communs entre l’UE et la Turquie, ni les obstacles à l’adhésion n’ont fondamentalement changé. Ce qui a changé côté européen, c’est le souhait affiché par la Commission européenne d’éviter que les relations avec la Turquie se dégradent davantage, risquant une rupture. De plus, il est possible, comme le défend l’éditorialiste Murat Yetkin (2), que l’échec apparent des « printemps arabes » ait poussé les dirigeants européens à réaliser que de meilleures relations avec la Turquie, seul pays du monde musulman restant toujours constitutionnellement laïc, pourrait aider l’UE et le Proche-Orient.

Côté Turquie, deux choses ont clairement changé :

– le « printemps arabe » n’a pas évolué dans le sens souhaité par le gouvernement actuel, le problème de la Syrie étant un exemple flagrant ;

– les recherches multilatérales d’alliance stratégique hors de l’UE et de l’OTAN de ces dernières années (espace Şamgen (3), Plateforme de Stabilité et de Coopération du Caucase et enfin Organisation de Coopération de Shanghai (4) ) n’ont abouti à rien de concret (5).

En même temps, la part de l’opinion turque favorable à l’adhésion à l’Union européenne est tombée à 44% (contre 74% en 2004) et 38% des Turcs préfèrent que leur pays ne coopère avec aucune entité sur le plan international (dernier rapport Transatlantic Trends du German Marshall Fund (6)).

On peut expliquer le désintérêt de l’opinion turque en partie par l’hostilité d’une bonne part de l’opinion européenne à l’égard de la candidature turque – d’autant que la rhétorique du Premier ministre turc Erdoğan n’a fait qu’alimenter le cercle vicieux des tensions de part et d’autre. De plus, la crise de l’euro a passablement dégradé l’image de l’UE dans l’opinion publique turque.

Sur le plan domestique, en revanche, on aurait pu penser que l’intérêt des « critères de Copenhague » soit plus évident que sur le plan international. En effet, ceux-ci ont eu un véritable « effet d’ancrage » et d’inspiration pour les réformes démocratiques, surtout entre 2002 et 2005. Qui plus est, la répression de la contestation place Taksim et la récente décision d’interdire les résidences mixtes d’étudiants constituent des violations de la liberté d’expression et du droit à la vie privée que justement l’acquis communautaire vise à protéger.

Il semble que plus le gouvernement turc se sent « libéré » des principes de l’acquis communautaire, plus les droits fondamentaux du peuple sont susceptibles d’être bafoués.

(1) Voir http://www.turquieeuropeenne.eu/5430-perceptions-turques-de-la-france.html
(2) http://www.radikal.com.tr/yazarlar/murat_yetkin/ab_ile_kopruleri_tamirde_fasil_firsati-1157031
(3) Accord de circulation libre entre la Turquie, l’Iran, l’Iraq et la Syrie, pensé, en 2011, comme un « concurrent » de l’espace Schengen
(4) Organisation intergouvernementale asiatique regroupant la Russie, la Chine, le Kazakhstan, le Kirghizistan, le Tadjikistan et l’Ouzbékistan
(5) (en turc) http://taraf.com.tr/cengiz-aktar/makale-stratejik-bosluk.htm
(6) http://trends.gmfus.org/files/2013/09/TTrends-2013-Key-Findings-Report.pdf

 

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