La réaction iranienne à l’attribution de l’Oscar du meilleur film à Argo début 2013 – voir article précédent ci-dessous – s’insérait dans un mode de fonctionnement que le régime a souvent privilégié et que le journaliste britannique James Buchan appelle une « intransigeance larmoyante »[1].
Cette intransigeance n’ayant pas aidé l’Iran à faire avancer les choses sur le plan international, en particulier lors de la présidence d’Ahmadinejad, on observe, depuis l’arrivée du nouveau président Rohani, un changement de ton qui semblerait traduire une volonté de se différencier du précédent gouvernement, aussi bien dans le discours[2] que dans les actes[3]. A l’heure où un optimisme raisonné devient possible pour la reprise du dialogue sur le dossier nucléaire, il est utile de se rappeler que le véritable pouvoir en Iran est toujours détenu par le Guide Suprême, l’Ayatollah Ali Khamenei – disciple favori de Khomeini – dont on connaît bien, du moins jusqu’à ce jour, les positions radicales[4].
Les Anglais et les Américains portent une lourde part de responsabilité historique dans cette radicalité et hostilité à l’égard de l’Occident, le coup d’état anglo-américain de 1953 étant généralement reconnu comme l’événement culminant dans cette histoire. Il servira d’ailleurs de « modèle » à des interventions similaires en Amérique Latine.
L’affaire avait comme origine un désaccord sur le partage des revenus pétroliers : ces revenus échappaient à l’emprise de l’Iran qui percevait 16% seulement des bénéfices de la toute-puissante Anglo-Iranian Oil Company (AIOC) contrôlée par le Royaume-Uni, compagnie qui refusait d’autoriser tout audit de ses comptes. A la suite de l’échec des négociations pour un partage des revenus à parts égales – alors que de leur côté l’ARAMCO (Arabian American Oil Company) et l’Arabie Saoudite s’accordaient dès 1950 sur un partage à 50-50 – le Parlement iranien nationalisera l’AIOC en 1951. Mohammed Mossadegh, porteur du projet de nationalisation, sera élu Premier ministre et deviendra un héros national. Une crise s’ensuivra durant deux ans. Enfin, l’arrivée des Républicains au pouvoir aux Etats-Unis – que les Anglais pourront convaincre plus facilement que leurs prédécesseurs Démocrates que « Mossadegh livrerait l’Iran aux Soviétiques » – ouvrira la voie au coup d’état d’août 1953 fomenté par la CIA et le MI6. Mossadegh sera renversé et l’Iran sera livré à l’autocratie Pahlavi qui sera suivie, vingt-six ans plus tard, par le gouvernement des mollahs que l’on connaît.
Plusieurs études spécialisées ont traité ce coup d’état qui hante toujours les relations entre les Etats-Unis et l’Iran. Récemment, un ouvrage du journaliste anglais Christopher de Bellaigue, Patriot of Persia: Muhammad Mossadegh and a Tragic Anglo-American Coup[5], a été particulièrement remarqué. Bellaigue démontre, à l’appui de nouvelles sources, que Mossadegh, un constitutionnaliste formé en Europe, était en réalité un des premiers dirigeants véritablement libéraux du Moyen-Orient et qu’il s’opposait vigoureusement au communisme. Il souhaitait de bonnes relations avec l’Occident mais refusait toute dépendance servile. Pourtant le profond mépris anglais vis-à-vis de l’Iran, ajouté à la paranoïa américaine, suffiront à aveugler les dirigeants de l’époque.
On peut toujours spéculer sur ce qu’aurait été l’Iran de Mossadegh avec lequel un consensus aurait été trouvé. Ce qui est certain, c’est ce dont on a hérité : une véritable tragédie pour le peuple iranien et un facteur d’instabilité continue pour toute la région.
A l’heure où l’Iran reste le pays régional ayant le plus d’influence sur la Syrie et que la résolution du dossier nucléaire revient à l’ordre du jour, on espère que les décideurs d’aujourd’hui auront tiré les enseignements du passé et seront à même d’éviter de nouvelles tragédies !
1. http://www.world-religion-watch.org/index.php?option=com_content&view=article&id=426
2. Par exemple lors d’un échange Twitter le 5 septembre, le Ministre des affaires étrangères Javad Zarif souhaitait un joyeux Rosh Hashana (nouvel an juif) aux Juifs et indiquait que « l’homme qui a nié l’Holocauste [Ahmadinejad] n’est plus là ». Voir aussi http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2013/09/06/le-chef-de-la-diplomatie-iranienne-reconnait-le-massacre-des-juifs-par-les-nazis_3472194_3218.html
3. Libération de militants iraniens de droits de l’homme ; transfert du rôle de négociateur sur le dossier nucléaire du Conseil de sécurité nationale vers le Ministère des Affaires Etrangères
4. Khamenei a affirmé que « la femme doit accoucher, allaiter, elle a un physique fragile, elle est moralement sensible, …elle ne peut entrer dans tous les domaines. » Il a aussi qualifié Israël de « tumeur cancéreuse » en 2012, ajoutant qu’elle « allait être supprimée »
5. Il est intéressant de noter que le sous-titre de l’ouvrage paru au Royaume-Uni est Muhammad Mossadegh and a Very British Coup tandis qu’aux Etats-Unis il s’agit de Muhammad Mossadegh and a Tragic Anglo-American Coup