L’Europe contre la circoncision ?

La circoncision des garçons est-elle comparable à l’excision des jeunes filles ?

En tout cas dès les premières lignes de la Résolution 1952 intitulée « Droit des enfants à l’intégrité physique » que l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE) (1) a adoptée le 1er octobre dernier, on peut lire que les mutilations génitales féminines et la circoncision de jeunes garçons pour motifs religieux font partie des « pratiques particulièrement préoccupantes ».

On peut comprendre que cette formulation, perçue à juste titre comme un amalgame, ait pu choquer les communautés juive et musulmane, en France comme dans le reste de l’Europe. Ni la distinction faite entre ces deux pratiques dans la deuxième partie de la Résolution (2) ni les explications de la rapporteure du texte n’ont suffi à calmer les esprits.

La circoncision est considérée chez les Juifs comme un acte essentiel de communion, effectué sur les garçons au huitième jour après la naissance. Elle constitue également une obligation – ou a minima une forte recommandation – chez les Musulmans qui la pratiquent entre le huitième jour après la naissance et la puberté. Elle est aussi pratiquée de façon routinière aux Etats-Unis, principalement pour des raisons d’hygiène. A l’échelle mondiale en 2007, environ 30% des hommes âgés de plus de 15 ans (soit environ 661 millions) étaient circoncis selon l’Organisation Mondiale de la Santé (3).

L’Allemagne avait déjà créé la controverse en 2012

Les réactions virulentes à la résolution de l’APCE étaient d’autant plus prévisibles que le sujet de la circoncision avait déjà fait l’objet d’une controverse en 2012 : un tribunal de Cologne en Allemagne avait fait jurisprudence en jugeant que la circoncision d’un enfant pour des motifs religieux était une blessure corporelle passible de poursuite pénale. L’effet de choc de cette décision avait été ressenti dans plusieurs pays européens.

Le Conseil Central des Juifs d’Allemagne avait vivement protesté, estimant qu’il s’agissait « d’une intervention gravissime et sans précédent dans les prérogatives des communautés religieuses ». Israël et la Turquie avaient également fait entendre leur désaccord. Angela Merkel et la classe politique en général avaient alors rapidement réagi et le Bundestag avait adopté, à une large majorité, une loi autorisant explicitement les circoncisions pour motifs religieux dans les six premiers mois suivant la naissance, à condition de se conformer à un traitement effectif de la douleur.

L’Allemagne mettait ainsi un terme à la controverse.

Pourquoi le sujet refait-il surface ?

La rapporteure du texte de l’APCE cite « l’avis de spécialistes qui attestent des risques potentiels de la circoncision pour la santé des enfants ».

Pourtant d’autres études signalent que les risques de complications sont très faibles et facilement traitables dans la plupart des cas (4). Il existe également une déclaration de la prestigieuse American Academy of Pediatrics (AAP) selon laquelle les bénéfices de la circoncision néonatale, notamment la protection contre certaines infections sexuellement transmissibles, sont supérieurs aux risques (même si ces bénéfices ne sont pas suffisants pour recommander la circoncision pour tous) (5). L’Organisation Mondiale de la Santé est plus catégorique, recommandant la circoncision dans les pays où le virus VIH est endémique (6).

Certes, on peut penser que toutes ces études sont biaisées car « financées par les lobbys religieux et médicaux américains », comme l’affirme le sexologue Yves Ferroul (7) mais l’accusation paraît excessive.

La position la plus sensée

Par conséquent la position la plus sensée serait celle prenant en compte aussi bien la dimension symbolique et religieuse – essentielle à de nombreux Juifs, Musulmans, mais aussi Chrétiens – que les deux préoccupations centrales concernant l’enfant : son âge et le traitement de la douleur. Selon la psychiatre Janet Menage la circoncision créerait un traumatisme durable chez le garçon (8). Il paraît plausible que la douleur ainsi que le traumatisme en découlant soient d’autant plus importants que l’enfant est âgé.

Or ce sont justement ces deux préoccupations que prend déjà en compte la loi allemande de 2012 (et, accessoirement, la déclaration de l’AAP).

Certes, la question stricto sensu de l’intégrité physique de l’enfant « non consentant » reste posée, mais entretemps il n’est pas plus mal de concentrer les efforts prioritairement sur les nombreuses pratiques dont le caractère nuisible n’est même pas contestable.

 

(1) Assemblée consultative composée de 642 membres qui sont des représentants des parlements des 47 pays membres du Conseil de l’Europe – dont notamment la Turquie – et dont les décisions constituent des recommandations portant principalement sur les droits de l’homme, la démocratie, la protection des minorités et l’état de droit.
(2) En effet, le texte recommande de condamner les mutilations génitales féminines ; de définir clairement les conditions médicales à respecter s’agissant des pratiques religieuses ; de dispenser une formation spécifique aux représentants religieux (sur base volontaire).
(3) (en anglais) http://whqlibdoc.who.int/publications/2007/9789241596169_eng.pdf, p. 8
(4) (en anglais) http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC3253617/
(5) (en anglais) http://www.aap.org/en-us/about-the-aap/aap-press-room/Pages/Newborn-Male-Circumcision.aspx et http://www.npr.org/blogs/health/2012/08/27/159955340/pediatricians-decide-boys-are-better-off-circumcised-than-not
(6) (en anglais) http://whqlibdoc.who.int/publications/2007/9789241596169_eng.pdf
(7) http://leplus.nouvelobs.com/contribution/961125-le-conseil-de-l-europe-condamne-la-circoncision-rituelle-le-droit-des-enfants-avant-tout.html
(8) (en anglais) http://www.norm-uk.org/circumcision_psychological_effects.html et Necla Kelek, « Plaidoyer pour la libération de l’homme musulman », Editions Jacqueline Chambon, 2007, p.105-118

 

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